Quand on arrive à Lyon, on s'attend à voir l'horizon découpé de collines et de cathédrales.
Mais à peine débarqués de l'aéroport, c'est l'actualité qui vous assaille. "Un campement Rrom entre le tramway et la ligne TGV. Comme à la télé.
"Un bidonville Rrom à Lyon Part Dieu. Aux informations, ils disent "campement". Politiquement correct ? Ou parce que même un bidonville paraît plus luxueux.
En ce moment, au théâtre de Lyon, on joue : "Pas nés sous la même étoile". Et aussi "Vedettes secrètes". Ça tombe à pic.
Les petits accompagnent leur mère dans les rues et fouillent les poubelles. Ils rejoignent leur "village" de cahutes installé sur un terrain vague au bord de la voie ferrée. Le sol en escalier leur permet de camper leurs cabanes sur le haut de la marche, et jeter leurs détritus au bas de la marche. Les maisonnettes vomissent des vieux matelas, des lambeaux de vêtements, planches, bouts de plastique et poubelles ; le tout si coloré que c'en est presque beau.
En haut de la marche, les hommes jouent aux dés dans un salon Chesterfield en plein air. Ils crient et lèvent les bras. Celui qui gagne rit.
À côté, les maisonnettes de bois et de carton tout droit sorties d'un conte. Un décor de théâtre. Les toits pointus sont recouverts d'une bâche bleu électrique. Pour la pluie, d'accord, mais pour le froid ? Des femmes font des vaisselles et des lessives. D'ailleurs, ils sont propres. C'est comme ça qu'on peut les trouver nantis par rapport aux bidonvilles cambodgiens. Jusqu'à ce qu'on regarde en bas.
La châtelaine se dirige vers un arbre pour échapper aux regards indiscrets des passants, qui s'en moquent, du reste. Sans perdre une once de fierté.
Une petite fille Rrom de 3 ou 4 ans fait la manche, toute seule, dans le centre de Lyon.
Elle joue avec deux cailloux. Personne ne semble la voir. Ou presque personne...
Je demande alentour ce qu'on pense de ce bout d'actualité en bas de chez soi. "Pour la gosse, qu'est-ce que tu veux faire ? Si tu préviens les services sociaux, ils vont l'enlever à ses parents ? Et après... Hein ?!"
Une mère de famille trouve ça triste. "Mais bon, ils se sont mis à côté de la belle résidence toute neuve, alors c'est gênant, quand même. C'est moche."
Une tache dans le décor ? Presque une oeuvre d'art d'un point de vue plastique. Les matières et les couleurs vous crèvent les yeux.Mais le reste vous crève le coeur.Le barman s'en fiche. "Ils sont là depuis un moment déjà, et ils ne gênent pas. On ne les voit pas.
"La policière qui fait la circulation à côté confirme. Ils les laissent tranquilles. Des associations les aident. Ils ne sont pas seuls. Alors je lui dis que "quand même, les enfants mangent dans les poubelles... Je n'avais vu ça qu'au Cambodge." Et là, la policière s'exclame : "Je suis de là-bas ! Le Cambodge, c'est chez moi !"
Mais un passeport, jamais. C'est bien pour ça qu'il est reconnu quand il est bon, alors qu'un homme peut être tout aussi bon, et pourtant, ne pas être reconnu. On peut dire que l'homme n'est que le support mécanique du passeport." Dialogues d'exilé - Bertolt Brecht